Torture1992 - 1994
Cette série sur la torture, créé au début des années 1990, dépeint l’évolution d’un corps au cours de 10 jours de torture.
Violet Walther et Gloria Escomel ont collaboré pendant plus de 4 ans pour mener à terme cette oeuvre multidisciplinaire.
Torture fut présenté à quatre reprises entre 1994 et 2014.

Gloria Escomel


jour 1


Mixed medium
Dimension - 122 cm x 153 cm
Year - 1992




Arbres de liberté lacérés de souffrance, 
arbres-échines tracés par le fouet, 
colonnes vertébrales stigmatisées par le feu
Où l'être se végétalise.
Sous les coups inscrits dans la chair, 
ceinturant le corps de douleur, 
lancinances ramifiées,
l'arbre de vie s'est parverti, 
coupé de ses racines: 
les séphira du mal nous gangrènent.

Le coeur éteint de la nuit 
déploie la clameur atone d'un cri.

Frères et soeurs dans la mort, matrice universelle, 
Quels monstres en nous tapis réclament la torture, 
la violence et le viol ?
Striée d'horreur sous les flagellations barbares, 
notre impuissance nous ronge.
Les bourreaux sont partout, 
même en nous, sauvages arborescences.



- Gloria Escomel


jour 2


Mixed medium
Dimension - 121 cm x 213 cm 
Year - 1993






Cruauté, mystère insondable,
qui nous a forgé tant de mythes sanglants,
dieux sacrifiés dont la mort est demeure
et culte de douleur,
dieux démembrés, pourrissants, crucifiés,
grands corps nus saignés à blanc dans le noir,
poissons lunaires écartelés,
cultes morbides qui déifient le meurtre,
cultes sadiques,
mythes barbares de souffrance purificatrice,
de violence rédemptrice,
symboles matrices de perversité,
il est temps que votre cycle s'abolisse,
il est temps que d'autres éclairs nous transpercent,
que d'autres idéaux nous transportent.
Pourquoi précipiter la mort inévitable,
supplicier la chair,
alimenter la haine aux sources de douleur ?
Au fil des siècles hélas, la réponse est orfraie de silence.


- Gloria Escomel


jour 3

Mixed medium
Dimension - 121 cm x 213 cm 
Year - 1993







La carte du tarot nous montre, aussi, un pendu par les pieds,

bras liés, sans secours,

Achille par le talon suspendu,

plongé dans un bain d'immortalité,

Oedipe, à l'arbre vert lié par la cheville,

à son destin parricide offert.

C'est le monde à l'envers,

qui donne accès à l'avers du monde.

Comme tant de bêtes à l'étal, tête en bas,

la victime du monde est offerte à la terre,

immolation gratuite sans rédemption promise.

Car il n'est d'autre revers que la mort

d'autre miroir que celui de nos monstres.



- Gloria Escomel


jour 4

Mixed medium
Dimension - 121 cm x 213 cm 
Year - 1993






Je n'ai jamais eu de visage,
mes traits sont faits de sable et d'eau
et je redoute ces mirages
où le réel s'engloutira.
Arrachés mes yeux face au vertige indicible,
colonne-scorpion,
plaie vive qui dérive entre deux feux.


Repos
traversant les dentelles déchirées de l'illusion.
La douleur a ravaudé la chair et nul esprit n'en a surgi,
fantôme blanc de la torture.
Le feu clair s'encrasse en une pâte immonde où le ciel chavire.
Spasmes de douleur désertant la chair sacrifiée.
Oeuvre au rouge, incandescences,
Oeuvre au noir, putréfaction.


Croire que ce ne sont que des images et des mots,
oublier l'intolérable réalité des supplices,
le sadisme des uns, la lâcheté des autres,
qui gangrènent le monde.
Mais où vont nos images et nos mots,
dans quel enfer de l'imposture et des bonnes consciences ?
S'ils étaient glaives flamboyants plongés dans l'athanor
palette et plume transmueraient l'univers.


- Gloria Escomel


jour 5

Mixed medium
Dimension - 121 cm x 213 cm 
Year - 1993






Tu es tu as été battu,
tu t'es débattu,
t'es tu.
Tu es ce corps renversé,
nerfs à nu,
nerfs qui ont irradié la douleur
à tout ton corps misérable,
exténué, exangue.
Tu es le trophée des brutes,
des assassins qui gouvernent.
Tu es là, dénudé, asexué,
tu ne jouiras plus d'aucune caresse,
-d'ailleurs, tu n'as plus de peau-,
d'aucun baiser sur tes lèvres,
tué dans ta foi par ceux qui t'ont torturé,
tué par l'inhumanité de ces civilisés barbares.
Tué.
Tu es,
tu as été
tu n'es plus.
Tu as cru en quelque justice humaine ou divine:
les humains et les dieux t'ont quitté,
t'ont trahi.
Tu as cru
en quelque idéal,
pour être ici, comme bête à l'étal,
tu as cru
en quelque tendresse humaine.
Tu as dû aimer, désirer,
des bras t'ont peut-être étreint.
Avais-tu la peau douce ?
As-tu joui, renversé dans un lit heureux,
toi qu'on a jeté comme un déchet ?
As-tu souffert d'un amour qui te quitte,
ou qui meurt,
t'arrachant chaque fibre du corps ?
Cru que c'était là le bout de la souffrance ?
As-tu vécu, au moins, avant l'horreur qui t'attendait,
nerfs à nu, pantelant, mais vivant encore,
tout tué que tu sois ?
Tes bourreaux impunis s'empiffrent.
Et nous,
malgré la frayeur muette,
la pitié, l'indignation,
nous aussi,
nous irons vivre en sortant d'ici,
encore un peu,
nous t'oublierons pour nous survivre.


- Gloria Escomel


jour 6


Mixed medium
Dimension - 121 cm x 213 cm 
Year - 1993




Tu croyais que c'était la fin,
tu allais céder à la mort, 
stupéfié de souffrance 
et tu t'étonnes d'être encore en vie, 
en douleur, 
remis sur tes pieds 
alors que le monde chavire, 
monde invertébré que tu relies, 
phase par phase, 
ordonnant l'incohérence de l'atroce.

De ta main coulent des miasmes mauves 
c'est tout le don de la douleur.
L'espoir tapi comme une bête 
rôde encore.

Répit du corps.
Ton souffle s'égalise, 
goulées de vie 
qui s'attachent à tes mains, 
les relient à l'enfer.

Les bourreaux sont partout, 
ne lâchent pas leur proie.
Respire,
demain, ce sera l'indicible 
mais tu auras encore la force de souffrir.


- Gloria Escomel


jour 7


Mixed medium
Dimension - 121 cm x 213 cm 
Year - 1993





Coeur aveugle de ma plaie, palpitations extrêmes. Coeur étrange du délire. Des suppliciés s'agitent sous ma peau: tout un monde invertébré auquel je dois donner sens, à la limite de mes morts successives. Combien en aura-t-il fallu ? La vie, comme un ressac. Et la lente montée des ombres, dans cette grotte aux échos fantastiques, où les vagues s'engouffrent avec un cri féroce, déchirant les entrailles de chair pulpeuse. La douleur blanche, foudroyante, le tourbillon-spirale qui vous avale. Lutter contre la succion formidable, lutter contre la mort. Ressac. Chute immobile contre les sables.


- Gloria Escomel


jour 8


Techniques mixtes sur toiles
Dimension - 121 cm x 213 cm 
Year - 1994







Suée de sang
qui vermeille un mort encore en éveil.
Marbrures de cadavre, oeil crevé sur le flanc, 
témoins du viol.

                                                Ta main d'adulte 
                                                en un geste enfantin 
                                                tâte sa douleur.
Dire la compassion gênée 
dont on voudrait sourire

                                                -cette main sur la fesse 
                                                  et ce geste indécent-

On ne peut.
L'indécence immonde c'est ce viol infligé au corps supplicié, 
profanation de la douleur, de l'amour et de la mort.
Sous les paupières closes, flamboiement pourpre.
Plus rien n'a de sens. Tu as du sang partout, 
tu n'es plus qu'un fleuve de sang qui sourd de toi, 
par chaque pore exhalé,
Il y en a tant encore dans ce corps fluide et vivant !
D'où surgit cette source intarissable, âme évasée 
qui ne voit poindre aucune aurore, 
épuisée par la mort incessante ?


- Gloria Escomel


jour 9

Techniques mixtes sur toiles 
Dimension - 121 cm x 213 cm
Year - 1994






On pourrait croire atteint le comble de l'horreur
Clavicules arrachées,
côtes broyées,
poumons écrasés
dans l'impossible cri.
Que tout s'achève enfin,
douleur lancinante,
cauchemar,
conscience,
révolte
et vie.
Mais non:
nulle évasion possible.
Tout peut être illusion,
sauf la douleur
nous ancrant au réel,
spasme insupportable.
Sifflant,
un souffle,
saccade,
se fraie passage,
déchiré
par l'effort
de respirer
encore
un peu.
Le coeur
bat,
pulsion
vitale
indomptable,
comme la cruauté,
la haine,
le mal.

Ces brocart de vieux mauve où le regard se sauve,
lambeaux des rêves qui te tiennent éveillé,
s'enfuient.
La mort serait demeure
mais la mort atteint-elle ces gouffres où tu gis ?


- Gloria Escomel




jour 10

Mixed medium
Dimension - 121 cm x 213 cm
Year - 1994







Chair pitoyable, d'où l'espoir est vomi
en lentes coulées bleues, 
chair trouée, trophée de messe barbare, 
le mal t'a transpercée tout autant que le pal.
Devant l'atrocité du viol, on invoque la mort, 
mais tes mains tiennent encore le pieu qui te transperce 
comme on tient l'innommable à bout de bras, 
résistance ultime, 
tout le sang expulsé du corps, 
désastre mauve.
Quelle âme s'enfouit encore en ce pale cadavre 
qu'empale un cri d'horreur blanche, 
mort vivant qui sait tout des affres de l'enfer 
et de la terre, abandonné des dieux, 
torrent desséché, sans eau pour abreuver sa mort ?


- Gloria Escomel
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